Deux, trois, quatre générations et parfois plus encore. Le monde du BTP regorge d’histoires familiales où le mot transmission est écrit en lettres capitales. Transmission de valeurs, de savoir-faire, de l’art de construire tout simplement, synonyme de don de soi, de sens, et de fierté. L’exemple, l’exemplarité des parents artisans ou patrons de TPE, PME voire ETI, est le levier d’engagements qui méritent que l’on s’y attarde.
Sébastien Lapierre : « 80% de notre activité se fait sur la Croix-Rousse »
« Etienne, Aimé, Jean, Marc, Henri, Patrick, Pascal, Sébastien… Lapierre, peintre-plâtrier depuis cinq générations ».
Au-dessus de la jolie fresque qui habille depuis 2007 la façade des bureaux de l’entreprise Lapierre, tout est dit… ou presque. Ne manque que la localisation, ce plateau de la Croix-Rousse que les Lapierre de père en fils – et leurs équipes – ont arpenté dans tous les sens depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Sauf Etienne, le premier peintre de la saga familiale selon les recherches, qui œuvrait du côté de Roanne.
« Nous étions au 10 de la rue Perrod en 1945, année de la création par Aimé de l’entreprise actuelle », explique Sébastien, le Lapierre d’aujourd’hui. « Ensuite nous avons vadrouillé, entre différents dépôts sur la Croix-Rousse et même Caluire, jusqu’à notre retour ici, au 8 de la rue, en 2002. Avant, mon père – Patrick – faisait son « business » dans le bar de son frère, place des Tapis ».
Les salariés ? Ils sont douze aujourd’hui, dont des anciens, la fierté de Sébastien. Il y a aussi deux jeunes femmes, autre fierté de celui qui sait ce qu’un bon recrutement implique pour la viabilité de sa maison, stagiaire du lycée professionnel André-Cuzin à Caluire et apprentie aux Compagnons du Tour de France, ses filières favorites.
Et bien sûr, il y a Julie, Julie Blanchard, qui veille à tous les grains, alter-ego du patron pour tout ce qui est devis, paperasserie et autres joyeusetés. « Nous sommes une vingtaine à la semaine avec les sous-traitants », souligne Sébastien. « J’aime bien laisser de la liberté aux compagnons. Confier le chantier de A à Z. Faire confiance. Et je privilégie les équipes de deux ».
Façades à la chaux
« 80% de notre activité se fait sur la Croix-Rousse » confirme Sébastien qui accueille justement un responsable de la régie Lery, régie avec laquelle son arrière-grand-père travaillait déjà. Autres gros clients depuis des années, la régie Fertoret Croix-Rousse encore, et l’Infirmerie Protestante. Cages d’escaliers d’immeubles, façades, réfections d’appartements, sont le lot quotidien des équipes de Sébastien.
« Quand il a été décidé de ne plus appliquer de peinture sur le pisé, les pierres et le mâchefer, mais de revenir à la chaux, j’ai remis deux trois gars en formation, afin de nous offrir un nouveau challenge. Nous réalisons ainsi cinq-six façades dans l’année ». Pas de marchés publics. Juste les régies, on l’a vu, les particuliers, les copropriétés, professionnels et autres collectivités, ainsi que les commerces de proximité.
Les amis de passage rue Perrod sont souvent des artisans d’autres branches avec lesquels Sébastien travaille depuis des années afin d’être en confiance et ne pas subir. « Pour un appartement par exemple, je ne travaille plus qu’avec « mes » plombiers, carreleurs, électriciens. Nous sommes présents du début jusqu’à la fin du chantier. Nous cassons, montons le placo, nous laissons travailler les autres, et revenons après. C’est nous qui coordonnons l’ensemble. Entre croix-roussiens, nous sommes solidaires. Avec les entreprises que je ne connais pas, il y a trop de reprises, de retouches, de perte de temps… », râle Sébastien.
Ce Sébastien Lapierre… Un phénomène. Qui a bien failli ne pas inscrire son prénom sur le fronton familial à cause de son penchant pour le foot. Une formation Sport-Études jusqu’en terminale, une fac de sports à l’UFR Staps jusqu’en Master 1… Heureusement que ses études supérieures lui laissaient le loisir de tenir pinceau et rouleau pendant six mois de l’année ; le virus l’a embarqué.
« Je remercie mon père de ne m’avoir jamais poussé. En suivant ces études, je ne voulais pas avoir de regrets, et je suis heureux d’avoir essayé et vu autre chose. Quatre années de fac, cela apprend beaucoup, j’ai eu des cours sur la réussite, sur la gestion des échecs, etc… »
Après son Master, et en parallèle d’une carrière de footballeur en Région à Caluire et en Excellence avec Fontaines où il réside aujourd’hui – il a été quand même été champion de France scolaire avec Notre dame des Minimes ! – Sébastien se fait embaucher en 2006 par Patrick.
Il passe un CAP de plaquiste, met vite son grain de sel dans les papiers, la facturation, et prend définitivement la main en 2015 en rachetant l’entreprise. « A l’époque, nous avions quatre compagnons, je leur ai exposé ma vision du travail, comment je souhaitais développer notre clientèle, prendre un peu plus de volume, ils m’ont tous suivi ». Patrick n’a que 57 ans. Personne ne souhaite qu’il devienne le salarié de celui dont il a été le patron. Il crée son autoentreprise et donne la main quand il le faut à son fiston.
« On suit nos clients »
Aujourd’hui, l’activité est soutenue malgré la crise, l’entreprise Lapierre dépasse un peu les limites géographiques de la Croix-Rousse en se déployant sur les Mont d’Or et le Val de Saône. « On suit nos clients » se justifie Sébastien, avec toujours son savoir-faire en bandoulière. Façades à la chaux, montées d’escalier d’immeubles, et appartements que les compagnons savent refaire de A à Z, l’électricité et la plomberie restant confiées à des amis artisans.
Entre deux matches au LOU – le rugby a pris la place du foot – Sébastien gère les plannings, les clients, approvisionne les chantiers, s’occupe du matériel stocké dans un entrepôt situé à l’autre bout de la Croix-Rousse, fait quelques retouches, et confie tout le reste à son équipe. « Confie » est le mot juste pour Sébastien qui a fait de la confiance une stratégie de management.
Depuis Aimé, le métier a un peu changé surtout côté plâtre puisque le placo est devenu la règle. Gilles, premier embauché extérieur de Sébastien sait encore tirer des plâtres à l’ancienne, mais son talent en la matière ne s’exprime plus que rarement sur certains travaux de rénovation. Côté peinture, la glycéro a failli disparaître au profit de l’acrylique – plus écologique, moins polluante aussi – mais reste réclamée par certains clients. Pour le reste, pas d’évolution notable, le pistolet n’a pas supplanté les pinceaux et autres rouleaux.
Petits conseils du pro : « Avec l’acrylique, trois couches c’est la règle. Et c’est inutile de croiser, cela n’apporte rien et évite des traces en plus. Et enfin il faut aussi aller vite. L’acrylique sèche vite, elle est vite « bue » par le placo, vous n’avez que quelques minutes d’un angle de pièce à l’autre ».
- Jeannot est à gauche les mains sur les hanches
- Aimé est à gauche le pied sur l’échelle