Sagas familiales : 19 – Les Buffin, l’art de la route entre vignes et fleuve Rhône

Deux, trois, quatre générations et parfois plus encore. Le monde du BTP regorge d’histoires familiales où le mot transmission est écrit en lettres capitales : transmission de valeurs, de savoir-faire, de l’art de construire tout simplement, synonyme de don de soi, de sens et de fierté.
À la Fédération BTP Rhône, les sagas familiales de certains adhérents sont connues, d’autres moins. Nous avons donc décidé de vous présenter, sous forme de série, quelques-unes d’entre elles.

Nous sommes sur la route d’Ampuis, entre serres, arbres fruitiers et le fleuve Rhône d’un côté, et les vignes de Côte-Rôtie qui descendent à pic jusqu’à la départementale.


Leur couleur, c’est le jaune. Le jaune d’or, omniprésent sur les camions, les engins, parfaitement garés, et jusque sur l’impressionnant poste d’enrobé.
Impossible de ne pas voir l’entreprise Buffin TP. Elle s’étale sur une étroite langue de terrain qui accueille aussi les bureaux et les ombrières qui protègent les véhicules de chantier. Derrière, hors vue, un petit vallon devenu carrière il y a des années.

C’est ici que tout se passe. Ou presque. Car si l’histoire des Buffin est intimement liée à Ampuis, avec quatre générations impliquées dans les affaires du village, Alexis et Éric ont su s’implanter ailleurs.

Mais pas si vite. Une saga se doit d’honorer les anciens.

Honneur donc à Roger, né en 1920, le premier de la famille à acheter un camion. Un miraculé. Car s’il voit le jour juste après la Première Guerre, il a l’âge d’être soldat et s’engage pour la Seconde. Roger est conducteur de char. Avec son équipage, il revient du Maroc pour chasser les Allemands… qui lui tirent dessus. Le char explose. C’est le seul rescapé. Remis de ses graves blessures, direction d’abord Rhône-Poulenc pour charger à la main du charbon dans des wagonnets, avant de devenir garagiste. Il achète alors son premier camion-benne qu’il mettra au service de la DDE de l’époque afin de reconstruire les routes.

Roger est une figure au village. Il s’investit à la mairie, devient adjoint, succède au chef de corps des pompiers qui prend sa retraite, crée le club de rugby – son petit-fils Alexis, actuel président de Buffin TP, le co-dirige aujourd’hui – et le club de boules… Et puis les Buffin sont les premiers à avoir le téléphone, ce qui amène du monde à la maison.
Bref, son carnet d’adresses, son investissement et son tempérament le poussent vite à acheter un tractopelle, puis un rouleau, une niveleuse, non sans l’aide financière de ses amis du village qui lui font confiance.

L’entreprise Roger Buffin est officiellement créée en 1952.
Elle compte cinq salariés, et un gamin qui leur tourne sans cesse autour. Il s’agit de Roland, fils de Roger, toujours prêt à monter dans le camion le soir, les samedis et pendant les vacances.
Après son apprentissage chez un géomètre de Vienne, Roland rejoint vite l’entreprise familiale, qui prend de l’ampleur.
Début des années 70, lassés d’acheter leur enrobé à Millery, Buffin père et fils achètent d’occasion un poste d’enrobé chaud qu’ils installent sur le terrain actuel, alors que leurs bureaux sont toujours au cœur du village.

Roland, Alexis, Éric, trois Buffin dans le même bateau

Les Buffin font de plus en plus de routes, des cours d’usine et de villas… Toujours avec ses gars et ses clients sur les chantiers, Roland s’avère être un sacré patron. L’entreprise tutoie les vingt salariés, dont les épouses des dirigeants affectées à l’administratif – c’était ainsi.
Dans les années 80, atelier et bureaux rejoignent, en bordure de départementale, la centrale d’enrobé à chaud qui n’est plus le vieux poste évoqué plus haut mais un matériel moderne et performant.

On accélère.
Années 90 : Alexis, puis deux ans plus tard Éric, fils de Roland et Fabienne, rejoignent Buffin TP. Le premier a fait un BTS Économie de la Construction à La Martinière, le second un IUT de Génie civil à Grenoble.
« Au début, nous étions tous les deux conducteurs de travaux », se souvient Éric. « On se disputait les meilleurs chantiers, les meilleures équipes… Alors je me suis lancé sur de nouveaux secteurs d’activité, comme les chantiers d’usine, et j’ai poussé un peu plus loin notre zone d’intervention. J’ai ensuite pris en charge le poste d’enrobé et, en 1996, nous avons décidé d’exploiter pleinement notre carrière de roche massive pour fournir notre poste d’enrobé, car il n’y avait à l’époque qu’une seule grosse carrière dans le sud lyonnais qui nous fournissait : son monopole mettait en péril notre compétitivité. »

Alexis et Éric se retrouvent patrons de Buffin TP en 2009, quand Roland part à la retraite. Au premier la présidence, les chantiers ; au second la direction générale et tout ce qui est technique.
La même année, Buffin TP reçoit le Prix du Moniteur 2009 et une certification pour la production d’enrobés, comme un symbole d’une transmission réussie.

Mais la crise de 2008 produit ses effets à retardement. 2012 est très compliquée. Comme 1993.
« Pendant la crise, non sans mal, nous avons réussi à surnager et mis un point d’honneur à ne pas licencier », se souvient Alexis. « Notre métier de base, c’est les enrobés. Mais petit à petit, ceux qui faisaient des terrassements se sont mis à faire des enrobés. Alors nous avons fait du terrassement. Et aujourd’hui nous faisons tous les métiers : de la démolition, du terrassement, du réseau, de l’eau potable. Et nous avons le matériel adapté à chacun de nos métiers. Cela nous permet de “lisser” l’activité et de passer les caps difficiles. »
Dans la même veine, Buffin TP a rééquilibré ses donneurs d’ordre entre les marchés publics et les commandes privées.

« Soigne ton personnel, il soignera ton business »

La crise a aussi servi de révélateur au tandem familial. En 2014, Éric passe ses diplômes de capacité et de commissionnaire de transport. En 2016, ils créent Buffin Transport, filiale spécialisée dans la location de camions pour les Travaux Publics et notamment les convois exceptionnels. Un salarié à l’époque, huit chauffeurs aujourd’hui, pour une dizaine de camions.
Et une filiale, Buffin Maintenance, atelier de réparation de camions, engins de TP ou agricoles puisque les vignes ne sont pas loin.

Il faut aussi grandir, et pourquoi pas avec de la croissance externe. En octobre 2018, Alexis et Éric rachètent Beaufrère TP, basée à Saint-Symphorien-d’Ozon, qu’ils remettent vite sur pied. « Cette acquisition nous a permis de nous développer sur Lyon, l’Est lyonnais et dans les usines avec sa certification MASE – renouvelée pour 3 ans en octobre dernier – mais aussi de nous positionner sur l’eau, avec de bonnes équipes. D’ailleurs, nous avons gardé tout le monde… »

Buffin TP, Buffin Transport, Beaufrère TP, Buffin Maintenance : 75 salariés aujourd’hui, et une réputation bien assise, face aux majors.

Le secret, outre cette recherche constante de synergies entre les métiers ? « On va à notre rythme. On ne se développe pas tous azimuts. Oui, on va doucement, mais on fait les choses comme il faut. Nous souhaitons rester une PME familiale, connaître tout notre personnel, nos clients. Chez nous, le salarié monte trois marches, il vient nous voir. Nous appliquons la règle : “soigne ton personnel, il soignera ton business”. »
Un exemple : à Noël, l’entreprise distribuera des médailles du travail dont une à Frank Bernard, 40 ans de maison, un pilier qui prendra sa retraite dans un an. Un exemple et un signe : le turnover est quasi nul dans l’entreprise d’Ampuis.

Autre secret : une trésorerie gérée en bon père de famille, pour affronter le gros temps sans trop faire appel aux banques. Ce qui n’empêche pas les investissements : installation de 700 m² de panneaux photovoltaïques sur les ombrières pour chauffer les nouvelles cuves de bitume, électrification en cours du parc matériel. Mais doucement…
Car la relève s’annonce. Elle a déjà sa place réservée. Mais chut, c’est un peu tôt. Seule la philosophie vertueuse des parents est en cours de transmission.

À lire dans l’édition du 11 décembre 2025 du Journal du BTP

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