Le grand rêve de la REP Bâtiment vire au cauchemar
C’était un projet vertueux et c’est devenu – du moins pour l’instant – un fiasco.
Dans le cadre de la loi Antigaspillage pour une Économie Circulaire (AGEC), la REP Bâtiment (Responsabilité Elargie du Producteur des produits et matériaux de construction du Bâtiment) basée sur le principe du pollueur-payeur prévoit que « les metteurs sur le marché de produits du Bâtiment prennent en charge financièrement leur traitement et leur valorisation en fin de vie ».
Depuis le 1er mai 2023, les entreprises de travaux sont donc tenues de payer une écocontribution pour la revalorisation des matériaux qu’elles mettent en œuvre.
En contrepartie, la reprise des déchets triés devait être gratuite.
Quatre éco-organismes – structures à but non lucratif gérées par des représentants des producteurs de produits et matériaux – ont été agréés pour collecter et mettre en œuvre la REP. Valobat ; Ecominero ; Ecomaison ; Valdélia, les deux premiers étant très présents sur le Rhône.
Patatras. Deux ans plus tard, malgré le paiement des écocontributions, le service assuré par les éco-organismes n’est plus à la hauteur des attentes.
Pire, Depuis cet été, les entreprises de déconstruction font face à une dégradation croissante des services de reprise des déchets. Une dégradation, notamment pour les menuiseries, le plâtre et le bois, qui voient leur prise en charge s’amenuiser, et parfois même un arrêt total pour les chantiers de démolition.
Bref, les entreprises du Bâtiment paient de plus en plus d’écocontributions mais la gratuité du recyclage promise par la loi n’est plus au rendez-vous.
« Le principe était clair », rappelle Stéphane Eyraud, président de la chambre de Recyclage à la fédération BTP Rhône, « l’éco-organisme doit collecter une écocontribution sur la matière première auprès des fabricants, écocontribution destinée à soutenir les plateformes de recyclage qui, elles, traitent, recyclent, ou envoient dans des filières de traitement tous les déchets triés que les entreprises viennent leur confier gratuitement. Mais les deux principaux éco-organismes ne seraient déjà plus à l’équilibre financier. Valobat par exemple, qui prend en charge toutes les matières des catégories 1 (inertes) et 2 (déchets non dangereux non inertes : plâtre, bois, métaux, plastiques…) a, depuis cet été, arrêté de nombreux services et pour certains du jour au lendemain ».
« Le courrier de Valobat reçu fin juin nous informe que tous les chantiers de déconstruction déjà ouverts seront pris en charge, mais plus les nouveaux chantiers », renchérit Laurent Coquard, président de la chambre de Déconstruction. « Ce qui signifie que nous devons maintenant payer intégralement nos frais de dépose auprès des plateformes, alors qu’en amont les écocontributions sont toujours payées par les entreprises. Bref, même si nous, entreprises de déconstruction, ne payons pas d’écocontribution puisque nous ne mettons pas en œuvre de matériaux neufs, nous devons à nouveau payer le recyclage des déchets alors que cela devait être gratuit. La filière BTP paie donc deux fois. L’écocontribution pour construire et les plateformes de recyclage pour déconstruire ».
Autant dire que cette décision unilatérale et soudaine met en difficulté, voire en péril, des entreprises qui ont répondu aux appels d’offres avec la gratuité en bandoulière.
« Il fallait se mettre autour d’une table et ne pas procéder ainsi. Nous sommes des entrepreneurs », tonne Stéphane Eyraud, « nous savons trouver des solutions. Augmenter les écocontributions, d’un coup, pour que les éco-organismes retrouvent l’équilibre, ce n’est pas du tout envisageable. Surtout actuellement, le monde de la construction est en berne. Il ne faut pas nous changer les règles sans arrêt. Entre le moment où une entreprise répond à un marché et le début des travaux, il s’écoule en moyenne 6 mois. Economiquement, ce n’est pas du tout acceptable ».
Les plateformes de recyclage, elles aussi se trouvent prises dans la nasse. Elles s’étaient adaptées à un nouveau modèle économique, avaient formé du personnel, intégré de nouveaux logiciels, de nouveaux process, et pourraient se trouver contraintes de refaire payer des clients auxquels on avait promis la gratuité. « Changer de fil rouge tous les six mois, ce n’est plus possible. Ce n’est plus viable pour les entreprises. C’est de l’amateurisme pur et dur », juge en écho avec l’ensemble de ses collègues Stéphane Eyraud par ailleurs gérant d’un centre de recyclage.
« Les chambres de Recyclage et de Déconstruction ont reçu le représentant de Valobat il y a quelques jours à la Fédération BTP Rhône », confie Laurent Coquard. « Leur constat est simple. Pour eux, le business plan ne tient pas. Ils plaident avoir mal évalué les besoins (la collecte des déchets serait 50% supérieure à leurs prévisions, NdlR) et les moyens, ils pensaient pouvoir s’adapter avec des hausses des écocontributions. Mais devant la levée de boucliers de la profession, l’État leur a refusé ces hausses afin de préserver également le coût de la construction. Donc pour l’instant, la situation est vraiment bloquée ».
La profession aimerait également avoir un droit de regard sur les flux financiers générés par les écocontributions : « Nous ne sommes pas représentés aux conseils d’administration de ces organismes », rappelle Norbert Fontanel, président de BTP Rhône. « Nous ne savons ce qu’ils en font de tout cet argent, nous ne savons pas combien ils perçoivent, quels sont leurs frais de personnel, leurs frais d’exploitation, il n’y a aucune transparence. Plus globalement, puisqu’il y a des dérives depuis des mois, il faut simplifier le système. Le simplifier et le rendre opérationnel sur le terrain, car pour l’instant, il ne fonctionne pas ».
En réponse à toutes ces problématiques, le ministère de la Transition Écologique a décidé au premier semestre d’un moratoire pour « refonder la REP Bâtiment ». Rendu de copie au premier semestre 2026, mais plus sûrement début 2027.
Sont en jeu, pour mémoire, une quarantaine de millions de tonnes de déchets par an, dont une trentaine de millions de tonnes de déchets inertes (béton, briques, céramique…).
En attendant, rien n’est réglé, ce qui exaspère les professionnels du Bâtiment. D’un côté, des éco-organismes qui réduisent leur service pour « rester opérationnels » selon eux, de l’autre un gouvernement pris en étau entre la nécessité de faire fonctionner cette REP mal engagée et la colère de professionnels déjà dans la tourmente d’une activité au ralenti.
Rien n’est réglé, et pourtant sur le département du Rhône, « ça marchait vraiment bien avant », confie Stéphane Eyraud, un rien dépité.
À lire dans l’édition du 6 novembre 2025 du Journal du BTP
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