Transition numérique : les entreprises du BTP ont du pain sur la planche

Transition numérique : les entreprises du BTP ont du pain sur la planche

La fédération BTP Rhône et métropole a organisé le 23 février dernier une masterclass « Transition numérique » qui a vraiment séduit les participants, dirigeants ou représentants d’entreprises déjà convaincus de la nécessité de digitaliser leurs process, mais en manque criant d’informations sur le sujet. L’idée de cette rencontre est d’aider les entrepreneurs à définir leurs projets de développement liés au numérique, mais surtout de les orienter sur des formations, du coaching, ou encore les renseigner sur les dispositifs existants – souvent gratuits – financés par la BPI, Constructys ou autres organismes. Une seconde masterclass identique est prévue le 27 avril prochain.
Retour sur ce rendez-vous passionnant à plus d’un titre avec Philippe Pflieger du cabinet Ready Four Digital, l’intervenant de cette masterclass qu’il présente dans toute la région Rhône-Alpes, mais aussi avec Chrystèle Fayard, Comptoir des Revêtements, et Alice Gilbert pour Universal Étanchéité, deux participantes particulièrement investies sur le numérique pour leur entreprise.

Philippe Pflieger : « 15% des entreprises du BTP sont vraiment digitalisées, c’est très peu »

Philippe Pflieger est Dirigeant associé de CENTAURE CONSEIL, un cabinet de conseil spécialisé en stratégie et transformation des entreprises. Il est donc aussi Partner Ready4Digital.

Est-ce que les entreprises du BTP sont en retard sur la digitalisation ?

Oui le BTP est en retard. Il n’y a que 15% des entreprises du BTP qui sont vraiment digitalisées, c’est très peu. Mais la situation s’améliore, de plus en plus de dirigeants s’y intéressent. Il s’agit d’un secteur d’activité où je retrouve toujours la même typologie de problèmes : une mauvaise communication car le bouche à oreille est encore privilégié alors que les clients vont de plus en plus sur les sites Internet pour trouver des prestataires. C’est en train de bouger… Ceux qui s’adressent aux particuliers se rendent bien compte qu’il n’est plus possible de ne pas disposer d’un site. Deuxième point, une médiocre utilisation des logiciels ERP (Enterprise ressource planning), tout ce qui touche à la gestion interne de l’entreprise. Globalement, les entreprises font toutes les devis-facturations. Pourtant les ERP pour le Bâtiment évoluent, il y a de nouvelles propositions de produits très conviviaux. Les patrons pensent souvent que le logiciel ne fonctionne pas bien, qu’il n’est pas adapté, mais c’est souvent l’installation et la formation des utilisateurs qui pêche. Il y a une vraie problématique de gestion et de mise en œuvre du projet et de conduite du changement. Comptabilité, relation client (CRM), sont très peu utilisés.

Et la communication interne en direct avec les chantiers ?

C’est le troisième volet, le collaboratif : sur les chantiers la majorité des entreprises utilisent encore beaucoup le papier et l’archive. Résultat, elles sont noyées. Dès qu’il y a des modifications à la suite d’une réunion de chantier, il faut refaire des dossiers en plusieurs exemplaires. Le collaboratif lui propose de tout stocker dans des fichiers partagés, tout est à disposition, les plans sont scannés, modifiables, ils peuvent être envoyés sur tablettes à un chef de chantier ou conducteur de travaux pour qu’il dispose au quotidien d’éléments à jour. Le collaboratif permet d’améliorer la communication avec les collaborateurs.

Que proposez-vous pour aider les entrepreneurs à améliorer ces trois points noirs ?

Nous proposons un accompagnement jusqu’à huit jours, financé par Constructys – gratuit, ce que peu de gens savent – où nous rentrons dans le détail de l’entreprise en passant en revue ces sujets-là. Nous faisons un diagnostic général de l’entreprise et nous analysons sa maturité digitale. Sur les six jours complémentaires nous faisons vraiment de l’opérationnel. Au terme de ces huit jours, le patron de l’entreprise dispose d’un plan de digitalisation à trois ans en fonction des priorités qu’il a lui-même fixées.

Vous avez eu des demandes à l’issue de la classe du 23 février ?

Il y a déjà une personne qui nous a demandé un accompagnement de huit jours. A chaque fois que j’ai fait cette formation en Rhône-Alpes, la moitié des entreprises présentes ont demandé un accompagnement.

Quel est le coût d’une digitalisation ?

La première chose que l’on fait avant d’aligner les coûts, c’est de calculer combien l’entreprise perd d’argent à ne pas être suffisamment digitalisée. Perte de temps, de productivité, ressaisies, temps improductifs, points de marge perdus, etc… On va ainsi trouver des dizaines de milliers d’euros qui vont largement financer le projet de digitalisation. Et dans tous les cas, le digital apportera des gains significatifs qu’il faut savoir évaluer.

Quelles sont les résistances à la digitalisation ?

Le mot que j’entends souvent c’est « résistance au changement » et « système plus poussé de contrôle ». Les salariés pensent qu’ils vont être plus contrôlés, il faut donc commencer par les rassurer ; après il faut vraiment accompagner, montrer à quoi peut servir la transition numérique ; il faut les impliquer dans le projet, et pourquoi pas leur en donner la responsabilité.

Chrystèle Fayard : « Le digital va nous permettre d’être plus rapides »

Chrystèle Fayard représentait Comptoir des Revêtements, une entreprise de 150 salariés dont une soixantaine sur les chantiers, qui réalise tout le second œuvre.

Pourquoi être venue à cette masterclass ?

Nous voulions connaître l’ensemble des aides qui existent sur le sujet, elles sont nombreuses et le plus souvent gratuites. 

C’est quoi la transition numérique pour vous ?

Nous sommes une entreprise de BTP, certains d’entre nous utilisent encore des classeurs… Nous avons commencé à travailler le sujet, nos services supports sont dans le digital, mais il reste encore des choses à faire, notamment sur tout ce qui est suivi de chantier : il est très difficile de changer les habitudes, tout ce qui a été dit sur l’accompagnement des équipes m’a intéressée.

En quoi consiste le suivi de chantier ?

Je vous donne un exemple : pour Qualibat nous avons besoin de photos « avant, pendant et après ». Nos conducteurs de travaux et compagnons font beaucoup de photos, mais plutôt sur ce qui ne va pas, ce qui leur permet de mieux suivre encore leurs chantiers. Ils ont plus de mal à en faire sur ce qui va bien. Il y a des habitudes à changer. Il leur manque peut-être une plateforme pour les y inciter ? Ou un autre outil. Le digital va nous permettre d’être plus rapides sur certains points. Il nous faut juste des pistes pour accompagner nos équipes. Les équiper, les former, leur faire comprendre les intérêts de ces outils. Reste à trouver le temps.

Alice Gilbert : « Nous pensons proposer des formations au sein de la société »

Alice Gilbert représentait Universal Étanchéité, entreprise de six personnes, basée à Corbas, qui travaille essentiellement pour les marchés publics, en réhabilitation.

Pourquoi être venue à cette masterclass ?

Nous sommes en train de numériser la société, en termes de gestion d’entreprise et des chantiers. Notre démarche était de connaitre l’éventail des formations existantes mais aussi d’avoir une vision pour les années à venir sur les changements numériques au sein des entreprises du Bâtiment.

Que signifie pour vous « numériser l’entreprise » ?

Trouver un logiciel qui soit compatible avec notre gestion de l’entreprise, équiper nos collaborateurs – notamment les conducteurs de travaux – en tablettes pour qu’ils aient accès à ce logiciel à distance, et aussi développer toute une partie marketing et commerciale sur internet.

Vous avez trouvé des réponses ?

Cette rencontre nous a permis d’élargir notre vision du numérique sur la globalité de la gestion de l’entreprise, commercialisation, et aussi conception avec le BIM, comme sur la numérisation des chantiers avec tablettes et drones. Nous pensons proposer des formations au sein de la société, notamment sur huit jours avec la BPI France, pour comprendre où en est l’entreprise sur sa condition numérique et nous accompagner sur les axes principaux de gestion de l’entreprise et gestion de chantier.

Vous pensez déjà au BIM ?

Plutôt à des plateformes collaboratives avec les entreprises, mais nous n’en sommes pas encore à renseigner les maquettes. On nous pousse de plus en plus à le faire, il faut l’envisager et nous y mettre bientôt.

A lire dans l’édition du Journal du BTP du 23 mars 2023