Alternative ou avenir de l’acte de construire : le « hors site » veut sa place

Ce fut une table ronde exceptionnellement riche. Riche par la qualité des intervenants, puisque Maxime Hayes, président de l’ODBTP 69, et Bruno Curis (Bruno Curis Architecture) ont réuni à BTP Rhône la crème de la construction hors site, acteurs clés de la filière venus partager leurs expériences. Riche de son sujet, le hors site si souvent utilisé dans les pays scandinaves et en Grande Bretagne faisant encore débat en France. Riche enfin par les perspectives ouvertes lors de cette rencontre qui s’est soldée par la signature d’une charte entre l’ODBTP (L’Office départemental du Bâtiment et des Travaux Publics du Rhône) et l’OGBTP, (Office Général du Bâtiment et des Travaux Publics), union de fédérations et de groupements d’architectes et d’entrepreneurs.
Comment tout savoir sur le hors site, ses avantages et ses inconvénients, éléments de réponse avec Maxime Hayes, Bruno Curis et Pascal Chazal en verbatim.

Le hors site c’est quoi ?

La construction hors site est une méthode qui vise à déporter tout ou partie de la construction (ou de la réhabilitation thermique) d’un bâtiment hors du lieu sur lequel il est érigé. Ce terme englobe la notion de préfabrication tout en tenant compte des enjeux contemporains auxquels le secteur du Bâtiment est confronté : carbone, filières locales, qualité de vie au travail, qualité architecturale et d’usage. Les éléments de structure, de façade, des blocs entiers (cuisines, salles de bain) sont conçus numériquement via le Building information modeling (BIM) avant d’être fabriqués en usine et acheminés sur le chantier. Ainsi, 80 à 85% des travaux d’un bâtiment pourraient être réalisés en usine (actuellement à peine 10%), ce qui permet de conduire simultanément des phases qui, traditionnellement, sont réalisées successivement sur un chantier.
Cette technique permettrait de rationaliser la construction, d’améliorer les conditions de travail des ouvriers et de réduire les nuisances pour les riverains tout optimisant la durée du chantier et en favorisant la réversibilité des bâtiments.

Sources : Wikipédia

Maxime Hayes : co-gérant de l’entreprise Juste (plomberie, chauffage, ventilation, climatisation), il est président de la Chambre Génie Climatique – Plomberie à BTP Rhône, et président fraîchement élu de l’ODBTP69.

« L’ODBTP est un syndicat qui réunit tous les mois architectes et entrepreneurs pour discuter des problématiques et des évolutions de nos métiers. Construction, rénovation, nous abordons tous les thèmes du Bâtiment afin de faire en sorte que les choses avancent dans le bon sens ».

« Aujourd’hui, le contexte pousse à rogner sur tout. Gagner sur les coûts de construction, donc sur le temps passé à construire, gagner les dérives des plannings, gagner sur les nuisances des chantiers, le bruit, les émissions, sur les consommations d’énergie… A ce titre, notre table ronde a pris tout son sens, puisque le défi du hors site est de construire des modules dans des usines qui vont être acheminés et mis en place sur un chantier en un temps record ».

« Moins cher que la construction classique, oui, sans doute, parce que le hors site mobilise moins de monde sur le chantier, engendre moins de déplacements, et surtout moins de temps passé à construire, mais il faut que les modules des salles de bain, des cuisines, des chambres, soient véritablement standardisés et surtout suffisamment diffusés pour que les économies d’échelles deviennent significatives ».

« Évoquer la construction hors site ne veut pas dire que tous nos métiers du Bâtiment vont s’arrêter demain. Il y a de l’immobilier en France à rénover, de la construction traditionnelle à réaliser. Et quand les immeubles sont construits, quel que soit le process, il faut bien installer les colonnes de chauffage, les colonnes d’évacuation, les colonnes d’alimentation d’eau chaude ou d’eau froide. Je pense qu’il faut direà tout le monde que nos métiers ne sont pas morts. Comme ils l’ont toujours fait, ils se réinventent ».

« Il est naturel que les chefs d’entreprise du Bâtiment s’interrogent sur le hors site. C’est d’ailleurs ce qui a motivé l’organisation de cette table ronde. Il nous faut être conscients que cela existe, et se rencontrer pour pouvoir inventer notre coexistence sur le terrain de la construction et de la rénovation, et faire que demain on ait encore besoin de tout le monde. Il faut se préparer plutôt que de subir ».

Bruno Curis : il dirige l’agence éponyme spécialisée dans l’architecture et la maîtrise d’œuvre. Il est membre du bureau de L’ODBTP.

« Pour que la construction hors site monte en puissance et que les commandes se multiplient, il faudrait que les gens comprennent bien qu’il ne s’agit pas de bungalows pour la plage, ce ne sont pas des containers ou des baraques de chantiers. Ce sont de vrais bâtiments. Il existe d’ailleurs deux sortes de construction hors site : la préfabrication et le modulaire complet. Ce sont des solutions pour construire plus vite. Les maîtres d’ouvrage publics ont passé le cap, ils sont souvent pressés de voir édifier une école, un gymnase, ou autre, il faut maintenant que nos métiers respectifs parviennent à décider les donneurs d’ordres privés ».

« Pour construire en modulaire complet, pour qu’il y ait une vraie industrialisation, il est nécessaire de le décider dès la conception. Il faut que tous les acteurs de la construction, architectes, promoteurs, chefs de chantier, soit déjà formés au hors site modulaire, et fonctionnent ensemble. Les majors s’y mettent, c’est intéressant car ce sont des locomotives. Mais maintenant, il faudrait des promoteurs aussi, des plus petits… ou moins gros ».

« Personnellement, j’en réalisé un certain nombre de projets hors site modulaires puisque j’ai commencé en 2007. Et donc les premiers ont été construits, réceptionnés, livrés il y a plus de dix ans. Aucune expertise en dix ans. Rien. Fiabilité totale du Bâtiment ! » 

Pascal Chazal : fondateur de la revue Hors Site, et du campus Hors Site

« Pourquoi parle-t-on aujourd’hui du hors site ? C’est que la construction, dite traditionnelle, axée sur le chantier, a de plus en plus de difficultés. Nous avons des besoins important de logements et de bâtiments. Nous avons aussi des contraintes environnementales très fortes. Et une productivité stagnante, qui a du mal à s’améliorer. Nous avons aussi des augmentations du coût des matériaux, de la main-d’œuvre, des taux d’intérêt. Et puis un manque cruel de main d’œuvre qualifiée dans tous les domaines. Tout le long de la chaîne de valeur. Et ce n’est pas particulier à la France »

« Le hors site c’est la préfabrication ou l’industrialisation : la préfabrication ne sort pas de la logique habituelle, une fois le projet conçu on va chercher des industriels pour leur demander de fabriquer. Ça marche, ça peut gagner du délai, de la qualité, mais c’est plus dur pour le coût… Et puis il faut beaucoup de savoir-faire dans les usines. Donc souvent un besoin d’ouvriers de Bâtiment. Si on veut changer de logique, il faut basculer vers l’industrialisation. Mais pour l’industrialisation, il faut changer les habitudes. La première des choses, c’est de réunir autour de la table une équipe qui a envie d’y aller. Maîtrise d’ouvrage, investisseurs, exploitants, maîtrise d’œuvre… ».

« En France, on accuse un certain retard, avec environ 5% de hors site. Les Pays-Bas, c’est pratiquement 29% de construction hors site modulaire 3D. En Allemagne, on est à près de 26% moyenne pour les maisons individuelles et les maisons groupées. Mais on essaie de rattraper ce retard. Il y a notamment une association pour le développement de la filière hors site qui a été créée en mars 2024 à l’initiative du gouvernement et des grands donneurs d’ordre, notamment en Île-de-France. Et à titre d’exemple, Grand Paris Aménagement s’est engagé à intégrer dans 80% de ses projets du hors-site à l’horizon 2030. Et ici Lyon Métropole Habitat, qui a réalisé plusieurs opérations importantes de l’ordre de 1 000 logements en utilisant le hors site ».

À lire dans l’édition du 4 décembre 2025 du Journal du BTP

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