Maxime Cornut : « C’est du bon sens de ne pas jeter ce qui fonctionne »

Créateur en 2018 de Made in Past avec son associé Pierre Mathieu, Maxime Cornut a suivi un parcours atypique qui l’a conduit, presque naturellement, vers l’évidence du réemploi dans la déconstruction. Made in Past, dont le siège est à Lyon, est aujourd’hui une entreprise qui propose des solutions de décarbonation d’opérations de réhabilitation, de construction ou de démolition, en utilisant le réemploi comme levier. Made in Past emploie une trentaine de personnes.
Interview.

Comment vous est venue l’idée de créer Made in Past ?
C’est une longue histoire. Après une première année de psycho et de droit à la fac, puis une deuxième année de droit et une licence professionnelle en gestion des ressources humaines, j’ai décidé de passer un CAP en ébénisterie. Je suis resté cinq à six ans dans un tout petit atelier artisanal du Vieux Lyon, où je restaurais des mobiliers anciens.

On est déjà dans le réemploi !
Oui ! J’ai ensuite eu l’opportunité d’intégrer une petite entreprise de démolition qui faisait du curage, notamment en Presqu’île de Lyon, sur des chantiers un peu complexes, difficiles d’accès. C’était ce qui faisait sa différence. C’est là que j’ai rencontré Pierre Mathieu, avec lequel nous avons évolué dans l’entreprise jusqu’à prendre des responsabilités. Ensemble, nous nous sommes interrogés sur la destination de tout ce que nous mettions dans des bennes malgré leur valeur d’usage. Nous avons travaillé sur des modèles économiques. Tous les démolisseurs récupèrent des matériaux pour leur maison, celle de leurs amis ou des associations, mais il arrive toujours un moment où il n’y a plus de débouchés, et jeter restait la seule perspective.

Vous vous lancez en quelle année ?
L’entreprise Solair, pour laquelle nous travaillions, a été vendue en 2020. Nous en avons profité pour créer Made in Past. Mais nous avions déjà testé quelques solutions auprès de nos anciens clients : nous ne partions pas à l’aveugle. Nous avons décroché notre premier marché public en janvier 2021, un marché de dépose sélective de parquets en chêne pour Est Métropole Habitat, dans le cadre de la démolition de trois bâtiments aux Buers. Nous avons démonté 5 000 m² de parquets, aussitôt replacés dans des chambres étudiantes, sur une autre opération conduite par EMH.

« Nous sommes sur une terre qui ne peut pas et ne va pas s’étendre »

Vous avez surfé sur la mode du réemploi, devenu quasi omniprésent dans les appels d’offres ?
Ce n’est pas une mode, mais du bon sens. Nous assistons à une diminution des ressources dans un contexte de volonté de croissance illimitée. C’est un paradoxe qui n’est pas du domaine de l’opinion mais un fait scientifique. Nous sommes sur une terre qui ne peut pas et ne va pas s’étendre. Or nous sommes de plus en plus nombreux, et nous avons donc de plus en plus besoin de ressources. Et puis c’est du bon sens de ne pas jeter ce qui fonctionne. C’est un réflexe peut-être un peu effacé aujourd’hui par la facilité d’avoir accès à n’importe quel produit, dans n’importe quelle temporalité, surtout la plus rapide. C’est dans cette logique-là que nous nous sommes inscrits : il manque des ressources, et nous produisons des déchets que l’on ne sait plus gérer. Comment changer le paradigme pour faire le pont entre les deux ? Nous sommes simplement inscrits dans notre époque.

Alors, quel modèle économique avez-vous retenu ?
Sur des matériaux anciens, comme le parquet, les tommettes ou les sanitaires, on parvient, comme tous les démolisseurs, à trouver un équilibre financier grâce à la revente, malgré le surcoût de main-d’œuvre pour une dépose dans les règles de l’art. Nous avons essayé de l’étendre à des matériaux de tertiaire : des dalles de moquettes, de l’isolant en laine de verre dans les cloisons de bureaux, des dalles de faux plafonds… Pour l’anecdote, les premières dalles de faux plafonds que nous avons vendues sont encore visibles dans une salle de sport de Dardilly.

Votre activité se limite à la dépose-revente ?
Nous répondons à la problématique de décarbonation, qui est une problématique vraiment globale, avec une expertise basée sur trois pôles de compétences :

  • un service d’études et d’ingénierie, qui réalise des diagnostics pour identifier des ressources, bâtir des stratégies, les coter financièrement, déterminer les réductions d’impacts carbone, etc. ;
  • une force opérationnelle – le plus gros de nos effectifs – qui démonte les matériaux sur les chantiers, les conditionne, les évacue… ;
  • un pôle filière, chargé de replacer les matériaux en les vendant à une clientèle professionnelle.

Avec un outil logistique situé à Villeurbanne, un dépôt de 1 600 m² nous permet de faire transiter les matériaux si nous ne pouvons pas les expédier directement chez nos clients, et aussi de faire du reconditionnement. Ces trois pôles fonctionnent en synergie, mais peuvent également être mobilisés séparément, selon les marchés.

Quels sont vos donneurs d’ordre, vos clients ?
Au départ, c’étaient essentiellement des marchés publics. En 2021-2022, nous étions sur 80 % de public et 20 % de privé. Aujourd’hui, la majorité de nos marchés concernent le tertiaire privé. Les préoccupations environnementales et la volonté des acteurs de la construction, de l’immobilier et même de l’investissement d’aller vers des pratiques plus vertueuses sont désormais bien ancrées. Dans le contexte actuel, il y a moins d’opérations qui se lancent, mais celles qui se lancent intègrent davantage ces dimensions.

« Il faut parvenir à mettre les industriels dans la boucle du réemploi »

En moins de cinq ans, vous êtes passés de deux salariés à une trentaine. Vous recrutez ?
Nous sommes sur une phase de stabilisation après une forte croissance qu’il a fallu gérer. Mais nous avons toujours besoin de recruter, notamment sur l’opérationnel. C’est assez compliqué puisqu’il n’existe pas de formation à notre métier. Nos équipes viennent d’horizons variés : électriciens, menuisiers, etc.

Qu’est-ce qui se revend le mieux dans le réemploi ?
Le bois, les parquets, mais aussi les sanitaires, qui sont techniquement simples à reconditionner et sur lesquels nous parvenons à équilibrer l’équation financière. Globalement, l’offre de réemploi commence à se structurer en France.

Et ce qui se vend le moins bien, qui traîne au dépôt ?
Les éléments techniques. Si nous avons un appel à lancer ici, c’est celui de travailler avec les industriels, les metteurs en marché, les fabricants, les seuls en capacité de reprendre et reconditionner leur matériel avec leur savoir-faire. Il est par exemple difficile de proposer une unité extérieure de climatisation en réemploi sur le marché professionnel.

Pour des problèmes de garantie, d’assurance ?
Non, d’autant que nous offrons une garantie commerciale d’un an sur nos matériaux. Et nous sommes assurés en responsabilité pour la vente de matériaux de réemploi grâce à un contrat spécifique, mis au point avec l’Auxiliaire du BTP, notre assureur depuis le début. Nous ne sommes pas nombreux à le proposer. Et pour répondre à votre question : les professionnels accepteront une unité extérieure de climatisation en réemploi lorsqu’elle aura été revue, réparée ou inspectée par le fabricant ou le metteur en marché. Il faut parvenir à mettre les industriels dans la boucle du réemploi.

 

À lire dans l’édition du 18 septembre 2025 du Journal du BTP