Thierry de Gasperis : « Un atelier chantier d’insertion pour démanteler les déchets complexes »

Thierry de Gasperis : « Un atelier chantier d’insertion pour démanteler les déchets complexes »

Les deux premières « Lettre E » comme Écocitoyenneté, Écologie ou encore Environnement, ont connu un véritable succès d’audience. L’initiative de la fédération BTP Rhône et Métropole de vouloir partager avec les acteurs économiques et institutionnels ses engagements, ses interrogations, mais aussi ses solutions sur tous les sujets liés à l’économie circulaire a largement convaincu. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi de faire profiter les lecteurs du Journal du BTP de la variété et la qualité des intervenants en reprenant ici l’essentiel de leurs interviewes.

La « Lettre E » d’avril-mai a choisi pour thème « Les déchets : recyclage et économie circulaire », véritable sujet d’actualité marqué par les enjeux des applications de la loi AGEC (loi relative à la lutte contre le gaspillage et pour l’économie circulaire). Thierry de Gasperis intervenait dans ce deuxième numéro.

Thierry de Gasperis est président de Rhône Environnement (location de bennes, déchèterie professionnelle, et centre de tri et valorisation de déchets à Saint-Genis Laval), et secrétaire de la chambre « recyclage » de la fédération BTP Rhône et Métropole.

Quels sont les problèmes rencontrés par les entreprises pour le tri à la source, sur les chantiers ?

Le principal problème, c’est la formation. Au sein de nos CAP, Bac pros, il n’existe pas de sensibilisation aux déchets de chantiers. Or le manque de formation nuit à la réussite du tri. Si, dans une benne à cartons, le salarié jette par exemple du carton assemblé à des cales polystyrène, cela ne fonctionne pas. Il y a un énorme effort à faire dans ce sens. Il y a jusqu’à douze corps d’état sur un chantier, avec parfois plusieurs entreprises et sous-traitants, cela n’est pas gérable, impossible de savoir à qui imputer la faute de tri. Sur chaque gros chantier, il faudrait un ambassadeur du tri qui soit garant de sa bonne qualité.

Vous avez évoqué la formation. Vous formez vous-mêmes au tri ?

Depuis octobre dernier, Rhône Environnement alloue 1000 m2 de bâtiment à un atelier chantier d’insertion (ACI) qui procède au démantèlement de déchets complexes. Ce sont par exemple des fenêtres avec vitrage. En théorie, chaque matériau d’une fenêtre est recyclable, mais quand ils sont liés entre eux, assemblés, on les jette parfois par manque de moyens ou de temps. Or chaque matériau d’une fenêtre est recyclable, il faut juste les séparer, les trier, c’est ce que fait cette structure d’insertion dont nous sommes le principal client pour l’instant. L’idée est de se dire : nous savons recycler du papier, du carton, du bois, des déchets verts, des plastiques, des gravats, en revanche l’avenir sera de trouver un débouché à tout ce que l’on jette.

Combien de personnes emploie l’atelier ?

Il y avait quatre salariés à l’origine que nous avons formés puisqu’il n’existe pas de cursus dédié. Tous les quatre ont déjà été embauchés, dont trois à l’extérieur. Un cinquième vient juste d’arriver pour renforcer l’équipe, et deux autres sont attendus puisqu’il nous faut quatre personnes pour faire tourner l’atelier. Nous allons selon moi révolutionner l’emploi dans le déchet avec la création de nouveaux postes dans les cinq à dix prochaines années.

Trier c’est aussi permettre le réemploi de matériaux. Où en sont les entreprises sur ce sujet ?

Il est très compliqué d’imposer le réemploi à des constructeurs, d’autant que les normes évoluent sans cesse. Mais les prix proposés par le réemploi peuvent inciter à l’utilisation de matériaux d’occasion, comme les portes, fenêtres ou autres… Un lot de fenêtres non démantelées peut aussi être revendu à un particulier qui mettra sur plan des ouvertures aux dimensions de ce lot à prix imbattable. C’est d’ailleurs le second volet de la loi AGEC, aller au-delà des 7 flux de tri à la source.

Comment faire pour que les entreprises deviennent vertueuses ?

Le maître d’œuvre en premier lieu doit en être soucieux. C’est lui le vrai producteur de déchets. Il doit pouvoir les tracer. Il faut que cela devienne une culture de chantier mais nous en sommes encore loin, notamment pour les particuliers. C’est aussi la raison pour laquelle l’État met en place la « Responsabilité élargie des producteurs », la fameuse REP Bâtiment, qui promet la gratuité de la gestion des déchets si les choses sont faites dans les règles. Il y a des éco-organismes qui vont contrôler et donc répercuter les manquements sur les prix de traitement des déchets. Chaque corps de métier devra surveiller que tout se passe bien. La volonté à travers la REP est de pouvoir tracer le déchet et éviter les dépôts sauvages qu’on connaît encore dans certaines régions. En proposant la gratuité, on enlève l’enjeu économique, on favorise donc les efforts de traçabilité.

La valorisation des déchets est-elle bien ancrée aujourd’hui ?

Oui mais nous sommes tributaires de la géopolitique. La Chine par exemple n’est plus demandeuse de déchets à recycler depuis la Covid. Et avec la guerre en Ukraine, le prix du gaz, des usines qui utilisent nos matières premières secondaires ne travaillent plus que la moitié du mois afin de ne pas consommer trop d’énergie.