François Bourdier : « j’incite chaque adhérent à renégocier ses contrats »

François Bourdier : « j’incite chaque adhérent à renégocier ses contrats »

François Bourdier, directeur général de la Rhodanienne de carrelage (Vénissieux – 50 salariés) est le président de la chambre « Carrelages Mosaïques et Revêtements de sols spéciaux » de la section Finition.

Depuis quand subissez-vous les hausses de prix des matériaux dans le carrelage ?
Depuis novembre 2021, avec une accélération entre janvier et aujourd’hui. Tous nos matériaux, dont l’énergie bien sûr, sont concernés : des isolants phoniques et thermiques aux colles en passant par le carrelage.

A quoi imputer ces hausses selon vos fournisseurs et fabricants ?
L’argument principal est l’augmentation des coûts de l’énergie. Cette augmentation explique certainement pour partie les hausses, mais nous assistons aussi à une sorte de spéculation généralisée, sans possibilité de discussion ou autre négociation. Sur les colles par exemple, comment expliquer une hausse de plus de 20% sur 12 mois ?

Et pour les carrelages ?
Pour le carrelage plus spécifiquement, il y a une partie imputable à la hausse des prix du gaz qui fait fonctionner les fours – + 150% tout de même – et le manque de matière première, spécialement des argiles qui provenaient du Donbass en Ukraine. Je reviens d’Italie, de la région de Bologne où sont fabriqués l’essentiel des carrelages que nous importons. Nos fournisseurs italiens se sont réorganisés et tournés vers l’Allemagne, la Turquie, voire l’Asie pour la fourniture de ces argiles. Avec des problèmes techniques à surmonter puisqu’il ne s’agit pas exactement des mêmes terres et qu’il faut donc modifier les procédés de production.

Quelle est leur stratégie à court terme ?
Leur stratégie consiste à répercuter les hausses de prix pour pouvoir continuer à produire. Ils expliquent que soit ils cessent toute production pour ne pas travailler à perte, soit ils répercutent les hausses. Pour le seul carrelage, c’est au moins 15% de hausse dans les quatre derniers mois.

Comment font vos adhérents ?
Ceux qui travaillent pour les particuliers réalisent des devis à faible date de validité et répercutent le plus possible les hausses des matériaux. Ceux qui traitent des marchés plus conséquents – logements, bureaux, marchés publics – ont souvent signé leur contrat un an, voire plus, avant la réalisation effective des travaux. Il faut donc soit anticiper les futures hausses, soit travailler à prix révisables.

Pour eux les marges doivent fondre ?
En effet, cela réduit les marges qui l’étaient déjà, puisque dans notre secteur d’activité nous vendons surtout des heures de main d’œuvre. Nous essayons donc de répercuter les hausses à nos clients, même si les marchés sont déjà signés.

Et vous y parvenez ?
Plus ou moins. Dans les premiers mois, nous ne rencontrions pas d’oreille attentive. Aujourd’hui, avec les prises de position publiques de la Fédération et des Majors, les maîtres d’ouvrage sont bien informés des difficultés et sont d’autant plus à l’écoute qu’ils doivent faire avancer leurs projets. Disons que 50% d’entre eux sont ouverts à la discussion. Les autres 50% – la promotion immobilière pour l’essentiel – argumentent leur refus de négocier en expliquant qu’ils ne peuvent pas répercuter le coût à leur client final. Dans tous les cas, quand on renégocie les prix, nous n’arrivons pas à répercuter 100% de la hausse. Avec nos clients, nous partageons les pertes… pour limiter la casse.

Quels conseils donner à vos adhérents ?
La situation est suffisamment préoccupante pour que j’incite chacun à systématiquement tenter de renégocier les contrats, quitte à remonter les dossiers à la fédération sur les cas où la situation est bloquée. BTP Rhône a des services compétents qui peuvent nous aider dans nos démarches.

Avez-vous des informations sur la durée potentielle de ces hausses de prix ?
Il semblerait que la situation se stabilise jusqu’à la fin de l’été, mais nous avons déjà des fournisseurs qui nous alertent d’un double effet en septembre : une nouvelle hausse des prix si les difficultés et hausses de gaz perdurent, et peut-être une pénurie de matériaux puisque les stocks des usines sont aujourd’hui au plus bas.

En plus de ces coups de rabot sur vos marges, vous devez également augmenter les salaires de vos compagnons ?
Nous sommes en effet confrontés à des discussions salariales importantes, pour lesquelles les négociations collectives ont apporté quelques réponses – notamment avec des hausses sur les minima, paniers et trajets – mais nous avons aussi des demandes en interne pour donner un coup de pouce au pouvoir d’achat.

Quel est l’état de vos trésoreries ?
D’une façon générale nous avons plutôt bien surmonté l’épisode Covid. Grâce aux aides de l’État et à la réouverture rapide des chantiers, nous avons pu travailler correctement.

Avez-vous des raisons d’être optimistes dans ce contexte lourd ?
Les entrepreneurs sont optimistes de nature ! J’ai confiance en l’avenir, nous avons le plus beau métier du monde ! Il faut savoir se réinventer chaque jour et attirer les talents. Nous manquons de carreleurs et mettons tout en œuvre pour attirer les candidats en revalorisant notre métier. Les compétences manuelles doivent être mieux reconnues dans ce pays afin que nous puissions embaucher, donner plus de pouvoir d’achat à nos compagnons et des perspectives d’évolution. Nous sommes prêts à relever les défis de demain et permettre au Travail de retrouver sa valeur. La prudence nécessaire liée aux difficultés actuelles ne doit pas altérer notre optimisme et notre envie d’aller de l’avant.